Regards et préjugés, la culture chez les jeunes en questions.
Philippe, professeur de français au collège Le Grand Champ à Grez-en-Bouère, animateur d'un atelier de théâtre, auteur de pièces et de romans.
« Les inspecteurs de l’éducation nationale nous disent parfois : « Il faut aborder les élèves par leur univers : la BD, le cinéma »… Ce n’est pas vraiment leur univers. Mes élèves ne vont guère au cinéma, regardent peu de films proprement dits. Il en est de même pour la musique ou la BD. À part pour les mangas peut-être, et ils ne sont pas si nombreux.
À Grez-en-Bouère, on est un peu loin de tout : il faut faire de la route pour aller au cinéma ou au théâtre. Et puis maintenant, il y a les écrans à la maison. Je lutte avec mes petits moyens contre 4, 5, 10 heures d’écran par jour, qui n’apportent pas grand-chose à mon sens. J’ai mis en place, au collège, un atelier théâtre, il y a un peu plus de 20 ans. J’ai aussi contribué à l'opération Collège au Cinéma, qui permet d’emmener les collégiens, trois fois par an, au cinéma. C’est parfois du noir et blanc, parfois du chinois sous-titré. Ça leur plaît souvent… mais ils ont du mal à le reconnaître. Je sens qu’il y a une honte à le concéder, à reconnaître l’émotion aussi. Je trouve que les choses sont de plus en plus enfouies. Et puis, c’est « intello » d’aimer ça ; du coup on n’ose pas l’avouer. J’ai décidé aussi d’apporter le cinéma dans la classe, de les faire travailler sur les films. J’en suis à trois par an désormais. C’est difficile de les amener à cela ; ils sont passés à autre chose : YouTube, les vidéos très rapides. C’est souvent d’une médiocrité invraisemblable, égocentré, tarte à la crème. Ils trouvent ça drôle sans doute par manque de références. On ne peut leur jeter la pierre car nous aurions sans doute aimé ça aussi si nous y avions été confrontés au même âge.
Mon atelier théâtre, c’est aussi un acte militant : je veux lutter contre les blocages de toutes sortes. J’ai toujours des raisons d’espérer sinon j’aurais arrêté depuis longtemps. J’ai vu des élèves se métamorphoser physiquement et psychiquement, parfois dans un contexte familial compliqué. C’est le théâtre qui permet cette prise de confiance.
Ça va paraître définitif de dire ça mais, dans chaque être humain, il y a un artiste, et je travaille là-dessus. C’est leur dire : « En fait tu peux. Arrête de dire que ça n’est pas pour toi ». Travailler à la chaîne pour une entreprise, être maçon, plombier… c’est bien. Mais être éleveur d’escargots, comédien, photographe… C’est pas mal non plus !